La discographie de la chorale Joie de Chanter
NOS VINYLES
Disque 33 tours n°1 - enregistré en 1975
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Chorale "Joie de Chanter"
(Présentation
de la pochette du disque de 1975)
Depuis 1940, Paulette NARDAL contribue, notamment grâce au répertoire de "Negro Spirituals" et de folklore de la chorale dont l'existence remonte à 1954, à animer et à enrichir la vie artistique martiniquaise.
Fille de la "Négritude", la chorale "Joie de Chanter" est depuis plus d vingt ans la fidèle militante de la "fierté noire" des Antilles.
Elle interprète les Negro Spirituals, "véritables psaumes de la souffrance que sont ces chants des esclaves et dont le rythme rappelle l'Afrique, le désir du ciel, la tristesse de l'exil, l'horreur de leur condition terrestre, mais aussi l'invincible espérance de la joie triomphante du Chrétien qui transcende la haine" (Paulette NARDAL).
Ce disque en est l'illustration. Il est aussi l'unique témoignage sonore de l'action inlassable d'Alice EDA-PIERRE qui, au piano, dialogue avec son fils dans "Water boy".
Le programme de chants créoles de ce disque constitue une sorte de petit "oratorio de la personnalité martiniquaise", par les différents rythmes de chants (complainte, mazurka, biguine), et surtout par les thèmes essentiels: évocation d la vie quotidienne présente et passée (An ni songé, la Comète), du passé colonial et de Saint-Pierre (la Défense), la mère et l'enfant (Manman créole - Ti manmaille) et aussi de Noël (Bon Dié né).
L'harmonisation pour chœurs de chants créoles avec accompagnement au Tam-tam est devenue un mode d'expression original inauguré par la Chorale "Joie de Chanter" avec l'aide précieuse du compositeur Emmanuel CÉSAIRE qui poursuit ainsi les initiatives musicales de Paulette NARDAL.
Disque 33 tours n°2 enregistré en 1978
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Joie de chanter la Martinique
Il peut paraître surprenant qu'une chorale martiniquaise consacre un nouvel enregistrement à un programme comportant à la fois des Negros Spirituals et des chants créoles.
En effet, il n'y a nulle trace, en Martinique, de ces chants d'esclaves, «ces véritables psaumes de la souffrance» qui marquèrent la musique noire américaine dès ses origines. Par ailleurs, l'histoire de la musique proprement créole de l'île ignore l'art choral.
Au XIXème siècle et dans la première moitié du XXème siècle, n'existe que la chanson créole (chant accompagné de piano, clarinette et batterie) tandis que, musique originale des esclaves, disparaissent peu à peu, au fond des mornes, les mélopées accompagnées de tambours et servant à commander les mouvements des danseurs de Bel Air, de Lagghia ou de Calenda.
Mais, qu'en 1979, des chorales pratiquent Negro Spiritual et «folklore harmonisé», cela est dû à la chorale «Joie de Chanter», ou plutôt aux vingt-cinq ans d'efforts tenaces de la fondatrice du groupe, Mlle Paulette NARDAL.
Celle-ci fut avec ses sœurs, l'une des premières étudiantes noires en Sorbonne, à Paris, dans les années 1925-1930. Elle a participé activement au lancement de la «Négritude». Dès son retour en 1940 dans son île natale, elle s'attache à promouvoir, elle aussi, tout ce qui peut légitimement provoquer la fierté noire. Malgré les sentiments hostiles qu'elle rencontre, elle tente de faire connaître la musique noire et les Négro Spirituals. Dans ce but, elle crée un groupe vocal qui deviendra la «Joie de Chanter».
Dénommée alors «chorale de la J.E.C.», ce groupe a donné le 3 février 1954, son premier récital de Négro Spirituals, premier d'une série de concerts qui parvint à convaincre les Martiniquais et à susciter, en liaison avec d'autres initiatives comme, par exemple, le Concours de la Chanson Créole, le renouveau d'une musique créole revendiquant fièrement à la fois ses racines nègres et son histoire métisse.
Sur cette lancée, Paulette NARDAL innova en harmonisant pour chœur à voix mixtes certains chants traditionnels de la Martinique, puis en créant des oeuvres elle-même. Le patient effort du groupe et de sa fondatrice permit à la chorale d'acquérir des qualités qui lui sont aujourd'hui reconnues et qui furent aussi un excellent agent du développement d'un art choral propre aux Martiniquais.
C'est ainsi qu'un musicien comme Emmanuel CÉSAIRE, qui dirigea d'abord un orchestre local appelé «les Malavoi» a composé plusieurs pièces pour la chorale et qui figurent sur ce disque à côté d'une des plus célèbres harmonisations de Mlle NARDAL: Mussieu Michel.
Cette biguine dont la mélodie est de Léona GABRIEL (autre pionnière de la chanson créole), peut presque être considérée comme la «Marseillaise» des Martiniquais. L' exaspération résignée du chœur entourant le soliste traduit magnifiquement le sentiment populaire qui accompagne les travailleurs luttant contre leur misérable condition.
Les trois autres compositions d'Emmanuel CÉSAIRE sont caractéristiques de l'art créole qui aime broder sur un fait divers soit pour s'en moquer, soit pour en faire une sorte d'incantation.
Qui n'a vu et entendu, à Fort-de-France ou en commune, ces femmes, assises devant les salles de cinéma ou de théâtre, vendre leurs cornets de cacahuètes? «Machan 'Pistach ka crié: chaud, cacahuète la, chaud, rôti chaud ! »
Rale sen la, c'est une scène de pêche sur le rivage. Par une sorte de récitatif, le soliste encourage ses compagnons à tirer sur le filet (la senne) pour ramener sur la plage les poissons frétillants qu'il énumère goulûment.
A la différence des autres titres, cette composition n'est pas une chanson créole à proprement parler; elle s'apparente plutôt au Bel Air par de nombreux éléments: tambour, important rôle rythmique du piano, mélopée irrégulière du soliste, réponse obstiné du chœur rappelant cette particularité du Bel Air qu'est «la voix» (petit chœur masculin ponctuant inlassablement le déroulement de la danse commandée par les tambours et les tam-tams).
«Ralé, ralé sen la, manmaille, ralé sen la ! »: cette répétition n'est pas un refrain, c'est, comme dans le Bel Air ou dans la Calenda, l'extrapolation de la mélopée du soliste.
Beaucoup de nostalgie dans cette berceuse An Jou Lundi qui égrène toutes les difficultés que rencontrent, depuis toujours, les jeunes antillais dans la vie quotidienne, mais qu'on cache sous les chansons.
La chorale chante la fierté noire avec les Negro Spirituals. Les titres figurant sur cet enregistrement sont les derniers nés du vaste répertoire qu'elle s'est constitué en 25 ans.
Si les mélodies sont traditionnelles, les harmonisations en sont relativement récentes, et, en l'espèce, empruntées à l'excellent groupe des «Hawkins Singers», sauf I heard from heaven today et Hammering song dont les arrangements sont plus anciens.
Les thèmes de ces psaumes sont éloquents. I heard from heaven today, c'est la joie d'avoir perçu l'appel du ciel, et Let us break bread together, un chant de communion où se conjuguent l'humilité («agenouillés devant toi, Seigneur») et la foi dans la promesse divine («Rompons le pain ensemble»). Les trompettes de Jericho illustrèrent cette promesse qui permit au peuple élu de conquérir une ville fortifiée dans sa marche vers la terre promise sous la conduite de Josué. Souvenir galvanisant lorsqu'on ploie sous les chaînes !
Manman chain'la lou appartient à ces vieux chants martiniquais que Léona GABRIEL a réunis dans un livre très précieux intitulé «Ça, c'est la Martinique». C'est l'un des très rares chants d'esclaves, lié d'ailleurs à un conte dans lequel, lors d'une des nombreuses révoltes, une jeune servante sauve sa maîtresse en la cachant, mais ne peut s'empêcher, en lui laissant quelques vivres pour subsister, de lui crier à la figure ce «mi pou ou é pou é pou cé chien-a» que ses maîtres lui lançaient en même temps que les miettes des repas. La mélodie, traitée en canon, remémore la pénible condition servile tandis que le refrain fait sentir le poids des chaînes.
Quoique non explicitement religieux, ce chant créole se place donc naturellement entre le chant de travail Hammering song et le long cri d'espérance de I hear the voice of Jesus say.
En revanche, chœurs martiniquais et Negro Spirituals étant cousins germains, c'est un Négro explosant de joie et de confiance en Jésus , Jesus lover of my soul, qui clôt la série des chants antillais.
En combinant ces différents chants nègres, Joie de Chanter ranime et élargit la tradition musicale de son pays, en même temps qu'elle pratique et répand le bel art du chant choral.
Philippe GROLLEMUND - 1978
Disque 33 tours n°3 enregistré en 1986
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Analyse du contenu de ce disque par Daniel COMPÈRE
Les
Negro Spirituals (Face A) ici présentés puisent au fonds traditionnel du
genre:
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«Poor mourners's got a home» évoque le repos enfin trouvé dans la
maison du Père après les tribulations de la vie.
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«Ezekiel saw de wheel» raconte l'aventure du prophète Ezekiel qui vit
tourner une roue là-haut dans le ciel "au milieu des airs". (Ez:
1, 15-21 et 10, 9-19). Magistralement interprété par Armstrong dans "Louis
and the good book".
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«Jacob's Ladder», c'est l'échelle de Jacob, fils d'Isaac, qui, lors
d'un songe, vit Dieu assis tout en haut d'un immense escalier par lequel
montaient et descendaient des anges (Genèse: 28, 12). "Chacun monte
toujours plus haut", clame le chant.
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«Roll, Jordan, Roll» est le rêve du pécheur, du prédicateur, du frère
et de la sœur: avoir un siège au royaume des cieux pour entendre couler le
Jourdain.
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«Down by the river side» est tout aussi symbolique: "J'irai déposer
mon épée et mon bouclier là-bas sur les rives du fleuve , j'en ai fini avec
la guerre".
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Bien plus moderne par les harmonies est le très beau «Joy, Joy»,
paroles et musique de Edwin R. Hawkins, dont Joie de Chanter avait enregistré
sur son précédent disque (en 1978) les merveilleux "I heard the voice
of Jesus say" et "Jesus lover of my soul". «Joy,
Joy» est un cri d'espoir pour qui met sa confiance en Dieu: "Après
de sombres nuages, il y a toujours une étoile qui luit... Quand tout va mal, ne
te tourmente pas, la joie viendra à ta rencontre".
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La promenade caraïbe (Face B) nous entraîne à Hispaniola (Haïti et
Saint-Domingue) avec «Guedé Nibó», divinité du vaudou haïtien qui
préside ici une danse endiablée sur rythme de mérengué. L'enthousiasme des
chœurs n'a d'égal que celui des musiciens. Signalons en particulier le "Güiro"
des orchestres de salsa antillais, instrument de percussion typique manœuvré
par Pierre Catayée. Le Vénézuélien Hugo Blanco ne manquait pas de
l'adjoindre à sa harpe. Les "Antillais-français" le surnommèrent
"Sillac".
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«Cantico» et «Alma Llanera»
sont vénézuéliens. Le premier est un hymne lent à la beauté et la
pureté de la nature: "Vole, mon âme, jusqu'aux confins profonds et
sereins de l'azur; brise ta cage d'ivoire et abandonne dans ses ruines ta
douleur". Le second présente le rythme favori des "llanos"
vénézuéliens, immenses plaines marécageuses du nord du Venezuela qui
atteignent, à l'ouest, le fleuve Arauca et la frontière avec la Colombie. Il
exprime la vie d'une nature exubérante: "Je suis née sur la rive du
vibrant Arauca, je suis sœur des fleurs, des roses, de l'écume, du héron et
du soleil...".
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«Juramento» est une rumba cubaine de Miguel Matamoros. C'est un serment
d'amour: "Si l'amour fait vivre de profondes douleurs et d'intenses misères,
je te donnerai jusqu'au sang qui brûle dans mes veines".
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«Jamaïca Farewell» est un calypso qui exprime la tristesse de celui
qui quitte pour longtemps son pays en laissant à Kingston (capitale de la Jamaïque)
"a little girl". Le soliste n'est pas Harry Belafonte qui a
immortalisé cette belle mélodie, mais Jean-Claude Nolbas, valeur montante de
la chanson martiniquaise.
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«Régina Coco», du folklore martiniquais, a été arrangé et
harmonisé par le cubain Electo Silva, chef de chœur, à l'occasion d'une
Rencontre pour étude de chants antillais pour chorales, organisée en septembre
1984 sous l'égide du Centre Martiniquais d'Action Culturelle (CMAC). Electo en
a fait un élément de sa suite antillaise n°1. C'est une biguine humoristique
et légère qui évoque la douce Régina, laquelle se retrouve dans la chambre
des garçons au lieu d'aller à l'école.
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Les deux dernières pièces sont des compositions d'Emmanuel CÉSAIRE ("Mano"
pour ses nombreux amis), violoniste et arrangeur du célèbre ensemble Malavoi. «An
Moué» (Au secours ! en créole) plonge dans l'arrière-pays des forces
occultes et maléfiques du folklore martiniquais: "Que se passe-t-il
derrière la case ? Les bambous s'agitent, les tôles craquent: c'est le Zombi
qui danse". C'est une biguine. La «Mazurka de Noël» est une
"mazouk" traditionnelle qui plante le décor de la grande fête du 24
décembre: punch, boudin, pâtés, schrubb, ragoût de cochon... de quoi
encourager l'auditeur à aborder sans cesse à "l'île des revenants".
Daniel COMPÈRE - 1986
L'art du chant choral en Martinique par Daniel COMPÈRE
L'art
du chant choral s'est étendu de manière spectaculaire à travers la
Martinique. Il n'est pas une commune qui ne compte pas une, voire deux chorales.
Souvent étroitement lié, à l'animation des messes dominicales, le répertoire
de celles-ci s'est longtemps ressenti de cette limitation qu'elles s'imposaient
elles-mêmes.
Puis
vint l'ouverture, avec des "Rallyes Chorales" et les choralies
de Ducos (ville du centre-sud dont la dynamique commission culturelle a pris
en main l'organisation de rencontres de choristes).
Ce
n'est pas le moindre mérite de la chorale Joie de Chanter que d'être à
l'origine de ces choralies et d'avoir provoqué la venue en Martinique de
groupes vocaux du mouvement A cœur Joie.
Née
le 3 février 1954 de la volonté de Paulette NARDAL de faire connaître
aux métis créoles les "psaumes de la souffrance" de leurs cousins
noirs-américains, la chorale s'imposa chemin faisant, comme la spécialiste des
Negro Spirituals dont quelques bons fleurons occupent la face A de ce 33 tours.
Lors de son trentième anniversaire en 1984 - un an avant le décès de sa
regrettée fondatrice - Joie de Chanter pouvait mesurer l'œuvre
accomplie: sous l'impulsion de Paulette NARDAL et de sa sœur Alice
EDA-PIERRE, elle a formé les esprits et les voix à l'étude d'un répertoire
universel qui, ne dédaignant pas les grandes oeuvres classiques (Ave
Verum de Mozart, Chorals de Bach, messe en Sol majeur de
Schubert, chants de la liturgie orthodoxe russe...) s'est enraciné
dans la région caraïbe par l'interprétation de chants traditionnels haïtiens,
cubains, jamaïcains, vénézuéliens et bien sûr martiniquais.
Pour
ce florilège caraïbe qui occupe la face B de ce 33 tours il faut louer une
passion, celle du chef de chœur Jacques CATAYÉE et le travail du
compositeur martiniquais Emmanuel CÉSAIRE et du musicologue cubain Electo
SILVA.
Cet
éclectisme musical est l'apport original de Joie de Chanter à cette fête
du chœur que sont les choralies internationales de Vaison la Romaine (Vaucluse
- France) auxquelles elle participe à nouveau en août 1986.
Daniel
COMPÈRE
- 1986
Lire l'hommage rendu à Paulette NARDAL par Roland SUVELOR lors de la sortie de ce disque en 1986
NOS CDS
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